Les recherches conjointes des neurosciences et de la biomécanique nous apprennent que notre façon de marcher peut en dire long sur notre état de santé. Elles révèlent, contrairement à ce que l’on croit, que le cerveau n’a pas un rôle central dans la marche, mais que c’est du côté d’un réseau de neurones autonome que tout se joue.
L’enchaînement des étapes conduisant à mettre un pied devant l’autre est un phénomène particulièrement complexe. Le laboratoire de l’Institut des neurosciences cognitives et intégratives d’Aquitaine (Incia), à l’Université de Bordeaux, a effectivement mis en évidence que bon nombre de croyances sont à remettre en question.
La marche en question
Les études menées depuis des années montrent que la marche n’est en réalité ni une activité consciente, qui serait directement pilotée par le cerveau, ni une activité réflexe des muscles des jambes, contrairement à ce que l’on croyait encore jusqu’au début du XXème siècle. De toute évidence, il apparaît aujourd’hui que la marche est commandée par des structures neuronales autonomes, situées dans la moelle épinière, qui organisent elles-mêmes la motricité.
Si ce réseau de neurones autonome est connu depuis les années 1990, seul le développement de nouvelles techniques physiologiques a permis d’en objectiver la présence et surtout, d’en comprendre le fonctionnement. Comme le souligne le directeur de recherche à l’Institut de neurosciences de la Timone (INT) à Marseille: «On sait que ce réseau est localisé dans le bas du dos et qu’il génère l’alternance droite-gauche des mouvements locomoteurs lors de la marche, ainsi que son rythme. Et qu’il possède une activité rythmique autonome à l’instar de celle qui, au sein de notre cœur, impulse le rythme cardiaque».
On est donc aujourd’hui en mesure de prouver que le cerveau ne fait que commander le début ou l’arrêt du mouvement (quand un obstacle se présente ou qu’un changement de direction est nécessaire). Tandis que le mécanisme capable de produire le mouvement même de la marche est régit par cette entité neuronale appelée CPG (pour Central Pattern Generator).
Par ailleurs, des recherches plus avancées ont permis d’identifier la nature des neurones du CPG, encore appelés interneurones, parmi lesquels on distingue des interneurones «excitateurs», qui donnent le rythme de la marche, et des interneurones «inhibiteurs», qui assurent le maintien de l’alternance droite-gauche.
Un décodage passionnant
La «lecture» technologique de la décomposition des mouvements de la marche s’avère toute aussi passionnante que les découvertes antérieures. Grâce aux caméras numériques et aux algorithmes de reconstruction 3D, les chercheurs sont aujourd’hui capables d’analyser l’ensemble de la marche sur tous les plans squelettique, musculaire et nerveux et d’en étudier mathématiquement chaque phase.
Au point d’en établir des modèles de fonctionnement suffisamment précis, qui peuvent aider la médecine à détecter, traiter ou suivre l’évolution de certaines pathologies. La marche étant un bon indicateur de l’état de santé général (squelette, muscles et système nerveux).
L’observation de la marche peut notamment aider à diagnostiquer précocement des maladies neurologiques comme Alzheimer ou le Parkinson, ou à en mesurer le stade de développement. Le fait d’avoir localisé les interneurones responsables du rythme locomoteur pourrait également permettre d’améliorer le sort de nombreuses personnes touchées par la maladie de Charcot ou la Sclérose en Plaques, voire d’offrir des perspectives d’avenir toutes autres pour certaines personnes paraplégiques.
Un travail qui se poursuit pas à pas
Le travail de recherche sur la marche n’a certainement pas dit son dernier mot. Pour l’heure, les recherches se sont en effet surtout focalisées sur les membres inférieurs. Or, on sait que le mouvement de la marche fait également intervenir le tronc. Une affaire à suivre…